Les récits de Yvan Gaudreault

 

Retour et repos des Guerriers

 par Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord. – juillet 1970.

Voyage arctique – NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Nous sommes à l’entrée du détroit d’Hudson, près de l’île Résolution et dans l’attente de recevoir les ordres pour la prochaine mission. Octobre pour nous indique que la saison de navigation achève. Et si je ne me trompe, nous sommes le dernier navire en devoir en régions arctiques, puisque les navires commerciaux et le reste de la flotte de brise-glaces ont quitté ce secteur ; navigant le long de la côte du Labrador ; direction sud et leur port d’attache.

 

Aujourd’hui, plusieurs messages nous sont adressés. Patiemment, devant ma console radio, écouteurs aux oreilles, je les copie à l’aide d’une dactylo.

 

Puis, sans m’y attendre, l’un d’eux contient une nouvelle qui me fait bondir de joie.

 

Gardant une mine sérieuse, je remets les messages au commandant comme d’habitude.

 

Après la lecture de celui qui m’a fait bondir à sa réception, le commandant hausse la tête momentanément, prend une bonne respiration, feint l’ignorance et passe à l’acte en donnant l’ordre suivant.

 

Tribord, lecture 040 degrés au compas. Et barrez la roue à cette course, ordonne le capitaine à l’homme de roue.

 

Après avoir donné cet ordre, le seul maître à bord s’empresse de prendre le microphone du système d’interphone public du navire pour faire une annonce.

 

Chers membres d’équipage, j’ai le grand plaisir de vous annoncer que notre mission arctique vient de se terminer maintenant. Nous retournons chez nous les moteurs à plein régime, et à la vitesse actuelle, nous estimons notre arrivée au port de Québec dans 5 jours.

 

Cette annonce provoque le délire au sein de l’équipage, et comme une potion magique fait disparaître les traits rigoureux d’un long voyage ; chacun laissant tomber comme enchantement, certaines frictions personnelles entre collègues marins.

 

Et d’apparaître à nouveau, des visages rondelets et radieux d’avant le voyage.

 

En un rien de temps, même s’il est trop tôt, les marins sortent leur valise du placard pour se faire bourrer de premiers vêtements qui leur tombent sous la main. Pour ensuite sortir leur plus beau costume. Et de laisser à la place, avant de fermer la porte, certaines expériences contraignantes que fut cette mission.

 

Les quatre mois de ce voyage, pour nous et les autres navires de la flotte qui reviennent à la maison, font que l’arrivée au port d’attache se fait avec excitation et joie. Et surtout dans la hâte de revoir les siens et de retourner dans la chaude intimité du foyer ; et aussi, de quitter et oublier quelque temps le navire ; ce long tapis instable et houlant.

 

Pendant que la majorité des membres de l’équipage quittent le navire pour plusieurs semaines. D’autres marins partiront pour une période allant jusqu’à quatre mois, en échange des heures supplémentaires qu’ils auront travaillées en mer ; à la place de l’argent.

 

Après une mission arctique de longue durée, la flotte de navires demeurera à quai. Pour donner une période de répit bien méritée aux membres des équipages. Et pour faire les vérifications et maintenances des navires ; alors que des spécialistes de plusieurs domaines, métiers et spécialités viendront à bord effectuer le travail qu’il se doit.

 

Et l’une des tâches primordiales sera d’inspecter la coque ; de l’extérieur comme à l’intérieur. Pour vérifier et évaluer l’ampleur des coups, des bosses et des creux qui ont été provoqués par la glace.

 

Heureusement pour nous, le navire sur lequel je suis assigné prendra la route pour les chantiers maritimes de Sorel.

 

Avant notre arrivée à Sorel, les experts en construction navale auront au préalable vérifié scrupuleusement les plans architecturaux du navire ; afin que celui-ci puisse se déposer naturellement sur un berceau de pierres qui lui est conforme. Dans une cale d’accueil ou un bassin rempli d’eau lors de l’arrivée.

 

Nous sommes au large du port de Sorel où un remorqueur s’approche.

 

 

Des amarres sont lancées ; puis lentement, notre navire va de l’avant, doucement, se laissant guider par les puissants moteurs du remorqueur.

 

De la timonerie, droit devant, nous apercevons deux murs relativement espacés en parallèle, sortant de l’eau. C’est l’endroit où nous nous dirigeons ; entre les deux.

 

Après s’être sécurisée par des amarres sur ces murs, l’opération mise à sec débute ; et déjà, nous pouvons visiblement observer le niveau d’eau baisser. Soit par le plancher qui nous soulève ou par l’eau qui se retire de la zone où nous sommes amarrés.

 

Nous voilà à sec et dans le vide.

 

 

De la timonerie, à nu et à 60 pieds du sol, une sensation de vertige émerge momentanément lorsque je regarde vers le bas.

 

Maintenant à sec, des ouvriers du chantier fourmillent autour de navire ; à installer des échelles et des échafauds contre les parois. Et bien sûr, une passerelle entre le navire et la terre ferme; la traverser me donna l’impression de passer au-dessus d’un gouffre, la première fois.

 

Après les échafaudages, une série d’inspections s’amorce et les experts scrutent au peigne fin, visuellement et à l’aide d’instruments, la surface de la coque ; à l’extérieur comme à l’intérieur.

 

 

 

Au premier coup d’œil, la coque du navire est visiblement fatiguée et meurtrie ; particulièrement sous la ligne de flottaison. Plusieurs sections avant et côté sont bosselées. Et lorsqu’on regarde attentivement, certaines poutres de renforcement intérieur sont tordues ; et décelable, vu de l’extérieur.

 

Une fois l’inspection terminée, on donne le feu vert et le chantier se met en branle.

 

Quelques semaines se sont écoulées et déjà, avec la disparition de quelques enflures, le navire a déjà meilleure mine.

 

On dit que ce régime de rajeunissement durera plusieurs autres semaines ; une période de rénovation qui pourrait s’étirer jusqu’à trois mois.

 

Certains membres d’équipage ont terminé leurs vacances et reviennent prendre leur poste.

 

À la fin des réparations, le navire retournera à son port d’attache. À demeurer dans l’attente d’une mission. Ou à faire des patrouilles sur le fleuve l’hiver. Afin que la voie navigable demeure ouverte et sécuritaire ; aux navires passants.

 

Et plus tard, lorsque la saison estivale se pointera le nez, un signe probable d’un prochain départ vers le Grand Nord ; une mission polaire.

 

Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord – Juillet 1970

Voyage arctique

NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Fin du récit: Retour et repos des Guerriers

 

Les récits de Yvan Gaudreault