Les récits de Yvan Gaudreault

 

Le grand départ

 par Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord. – juillet 1970.

Voyage arctique – NGCC NM Rogers/CGBZ

Le brise-glace dont je suis assigné cette année vient à peine d’être commissionné. Il en sera donc à sa première expérience dans les régions polaires ; une mission qui durera environ quatre mois.

 

Nous sommes à la mi-juillet et l’on dit que la glace dans le détroit d’Hudson qui a dormi tout l’hiver semble vouloir sortir de son lit. Que certaines crevasses s’élargissent sous les influences d’un soleil plus chaud, des vents favorables et de hautes marées. Pour nous, ces indices sont l’annonce évidente, voire imminente, d’un départ en région arctique. Avec la mission d’escorter tout navire à travers les glaces et le mener sécuritairement à bon port.

 

Depuis déjà 1 mois et demi, nous sommes accostés à l’intérieur des écluses du quai de Québec. Cet endroit appelé le bassin Louise  me donne l’impression de vivre le début des années 1900 tant son décor lui ressemble. 

À voir tous ces camions et gens qui circulent à tribord, cette section de quai ressemble à une halle.

 

Ce matin comme les précédents ces derniers jours, le commissaire de bord enjambe la passerelle d’un pas vigoureux. Avec son équipe, il révise toutes les listes d’approvisionnement et services ; en marquant d’une croix le matériel reçu et en faisant un suivi pour les produits qui sont toujours dus à bord.

 

Dans un autre secteur du navire, des spécialistes en ingénierie s’affairent à la vérification et aux ajustements de six gigantesques moteurs diesel et turbine.

 

Impressionnant, je vous dis de voir les cylindres de ces moteurs pour la première fois. On pourrait les comparer à des colonnes de soutien d’une structure.

 

Et lorsque je regarde un filtre à air placé au-dessus de l’engin, son volume dépasse l’imagination et si je ne craignais pas le ridicule, sa grosseur serait comparable à une mini-auto ; enfin presque.

 

Juste à côté, dans une pièce adjacente aux moteurs se trouve la chambre de contrôle des machines avec une quantité innombrable de cadrans à aiguilles ; étalées sur un mur d’une vingtaine de pieds par huit en élévation. On se dirait dans une centrale hydroélectrique.

 

Devant cette console géante, un ouvrier équipé d’une paire d’écouteurs échange de l’information à l’extérieur ; dans une autre section du navire.

Il est possible que ce soit à la timonerie où se situent des commandes à distance pour effectuer des manœuvres de navigation. À vérifier le temps de réponse entre ces appareils et la révolution des moteurs.

 

Exceptionnellement aujourd’hui, le navire fourmille d’hommes de métier ; un soudeur, un plombier, un électricien et quelques menuisiers. Tandis que le long de la coque du navire sur des échafauds suspendus, des matelots s’improvisent peintres. À étendre au rouleau, une peinture rouge sur la coque, près de la ligne de flottaison.

 

À observer tous ces gens travailler sans relâche pour terminer les tâches essentielles avant le départ, c’est à se demander s’il reste suffisamment de temps et de journées pour les accomplir toutes.

 

Pendant ce temps, deux des quatre techniciens en télécommunications de la base effectuent des travaux à la timonerie ; le centre nerveux au niveau de la navigation. Tandis que les deux autres travaillent dans la salle des communications.

 

Les pièces électroniques principales situées dans la timonerie touchent à l’aspect navigation ; de l’équipement sophistiqué pour aider le navigateur à trouver sa position en mer. Les deux radars sont les pièces de résistance. Tandis que le radio-Loran, le radio-Decca, puis le radiogoniomètre complètent la série d’aides électroniques à la navigation.

 

Ces équipements sont nécessaires pour le navire lorsqu’il s’éloigne des côtes ; navigue en pleine mer, ou lorsqu’il s’aventure dans des secteurs où abondent les glaces et les icebergs.

 

Dans la salle des communications, un des deux techniciens vérifie et calibre, au besoin, les radios réceptrices, les radios émettrices, les antennes, ainsi que tout autre appareil faisant partie intégrante à ce genre d’installations de radio-marines.

 

Bref, tout l’équipement nécessaire pour communiquer avec les stations radio-côtières, les communications entre navires et des radios qui ont la capacité de communiquer avec un aéronef ; tel que l’hélicoptère à bord par exemple.

 

Dans la pièce d’à côté, un genre de laboratoire pour effectuer des réparations électroniques, se trouve l’autre technicien. Debout et devant lui, sous presse dans un étau, repose une rondelle en fibre d’environ 4 pouces de diamètre.

 

Et là, à l’aide d’une petite lime carrée, il fabrique une série de dents ; comparable à un engrenage d’horloge.

 

Intrigué par ce qu’il bricole, je m’approche de lui.

 

> Que fais-tu, lui demandai-je ?

 

Yvan, cette pièce avec des dents va te sauver passablement de temps à la clé de télégraphie.

 

Une fois terminée, je vais l’accoupler à un moteur afin qu’elle tourne lorsqu’elle est activée. Elle permettra d’envoyer automatiquement sur les ondes les lettres d’appel du navire en code morse.

 

Ainsi, tu n’auras plus à le faire manuellement avec la clé de télégraphie comme par le passé. Fini les tendinites au poignet, dit-il en souriant.

Maintenant, tu as entre les mains un goniomètre automatisé pour l’hélicoptère.

 

> Génial, lui dis-je.

 

Changement de sujet, que se passe-t-il au troisième, dans ta chambre ?

 

Veux-tu bien me dire ce que bricole l’ouvrier qui est là ?

 

> Oh ! c’est un meuble pour installer mon équipement de radio amateur.

 

> Après avoir discuté avec le commandant l’intention d’apporter à bord cet équipement tout en lui expliquant le but ; il m’a dit très bonne idée. Va voir le menuisier et dis-lui ce que tu veux.  Voilà. C’est ce qu’il est en train de faire en ce moment.

 

 

Et que veux-tu faire au juste?

 

> Créer des liens et des cédules de communications avec des radios amateurs situés principalement au Québec et en Ontario. Avec les amateurs qui sont munis d’équipement spécial qui se connecte à des réseaux téléphoniques. Ce genre d’arrangement permettra aux membres de ce navire de parler avec leur conjoint, leurs enfants ou toute autre connaissance ; pourvu que ce ne soit pas des téléphones d’affaires. Je serai l'intermédiaire et celui qui organisera la communication.

 

Sympathique, cette idée, répond le technicien. Ça va remonter le moral des troupes ; c’est certain.

 

Tu sais quoi ! C’est mon collègue qui travaille à la timonerie présentement qui effectuera le voyage avec vous ; sur ce navire. Et il compte bien apporter sa guitare pour passer du bon temps lors du voyage. Vous aurez du plaisir avec lui ; j’en suis sur, dit-il.

 

> Quelle chance ! répondis-je. Mon confrère Jerry, l’autre opérateur, joue de l’accordéon et aime bien les chansons à répétition. J’imagine déjà le plaisir que nous aurons à écouter ce duo.

 

Puis je quitte le technicien sur cette note.

 

 

Sans que ce soit encore confirmé, on dit que le commandant attitré pour ce voyage est d’un caractère plus souple que le précédent ; qu’il est accessible et a à cœur le bien-être de son équipage !

 

Tant mieux. Parce que si l’on se fie au dicton *tel capitaine autant l’imite l’équipage* ; ce voyage pourrait paraître long ; sous un régime trop rigide.

 

Soit qu’il y ait coopération de tous. Soit que le voyage se fasse à reculon lorsqu’il y a trop de rigidité qui vient d’en haut.

 

Bref, le pouls du commandant fait souvent le pouls de l’équipage.

 

Près de la passerelle, un grand tableau sur chevalet sert de valet rapporteur pour inscrire certains ordres génériques du jour pour l’équipage. En plus de cela, il arrive que l’officier en devoir y inscrive des souhaits d’anniversaire pour un collègue à bord.

 

Ce matin, au moment où je vous parle, c’est le chef officier du navire qui saisit la craie pour écrire la journée et l’heure du grand départ pour l’Arctique. Soit dans 5 jours, dimanche prochain 1100H.

 

Cette annonce officielle, même si je feins l’ignorance de m’importuner lorsque je la lis, provoque chez moi une sorte d’inconfort corporel qui m’indique le contraire.

 

Je n’en suis pas à mon premier voyage, et pourtant, elle me dérange. Comme si le vent du Nord venait de se lever et d’avoir soudainement froid.

 

La revue du navire est terminée de fond en comble ; beau et endimanché.

 

Et l’heure zéro est sur le point de sonner le départ.

 

Parents, enfants et amis sont présents sur le quai. À échanger de chaudes accolades et de bonnes poignées de mains. De baisers entre amoureux et d’enlacements qui en disent long sur leur état d’âme. Celui de ne pas vouloir se quitter.

 

Les membres d’équipage sont à bord.

 

Au signal, les amarres sont péniblement lâchées et le navire, lentement, prend le large.

 

Quelques minutes après le départ, le commandant donne l’ordre solennel, et trois longs coups de sifflet font rage ; et sortant de la cheminée, une dense fumée noire.

 

En signe d’un au revoir et la promesse d’un retour.

 

Que d’émotions confondues pour les marins, et les êtres chers !

 

Passagères, vous me direz. Ces élans de joie empreinte de tristesse ; tout en nourrissant l’espoir d’un retour et le goût amer de la résignation.

 

N’ayez crainte chers amis, dit le capitaine, nous reviendrons.

 

Yvan Gaudreault

Extrait – Journal de bord. – juillet 1970.

Voyage arctique – NGCC NM Rogers/CGBZ

 

Fin du récit: Le grand départ

 

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