1941-1945

S.O.S. Gibson Girl

par Pierre Thiffault

(Article paru dans le magazine Plein Vol - Août 2011)

 

Un aviateur tombé en mer

transmettant un S.O.S.

(Publicité de la compagnie Hoffman, 1977)

 

Démonstration statique tirée

du manuel d'utilisateur.

 

A noter la forme arrondie "féminine" du transmetteur, qui lui donne son surnom de Gibson Girl.

 

Les instructions d'assemblage étaient imprimées sur le tissu du cerf-volant

(Photo Pierre Thiffault)

 

Un membre d'équipage tient le pigeon

pendant qu'un autre rédige un message

(Photo: MDN)

 

Embarquement de pigeons

dans un avion Canso de la RCAF

 

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le matériel de survie des aviateurs alliés tombés en mer incluait un petit cerf-volant orange, affectueusement surnommé « Gibson Girl )). 8allotés dans leur dinghy gonflables, les équipages naufragés plaçaient tout leur espoir en lui.

 

De son vrai nom M-357-A, son rôle consistait à déployer à environ 300 pieds d'altitude le fil d'antenne radio d'une balise de détresse. Outre le cerf-volant, l'ensemble complet comprenait un transmetteur radio à manivelle (dynamo), deux ballons avec génératrices à hydrogène (pour les jours sons vent), une lampe de détection et un parachute permettant de larguer l'équipement du haut des airs, le tout de couleur oronge.

 

L'ORIGINE DU SURNOM

 

L'appellation «Gibson Girl »faisait en fait référence au transmetteur, dont la forme courbe évoquait l'idéal féminin du temps, tel que popularisé par l'illustrateur de mode américain Charles Dona Gibson (1867-1944). Publiées dons Life Magazine au début du siècle, ses esquisses de femmes élégamment vêtues avaient fait époque et consacré l'expression des filles de Gibson. Avec le temps, l'appellation s'était étendue pour inclure le cerf-volant.

 

Grâce à la manivelle servant à produire le courant électrique, le transmetteur (de son nom de code AN/CRT3 ne nécessitait aucune pile et était donc toujours prêt à fonctionner. Quand la manivelle était actionnée à une cadence de 80 à 100 tours à la minute, la radio émettait automatiquement un signal S.O.S. en code morse. Alternativement en mode manuel, il était aussi possible de télégraphier des messages morse à l'aide d'une clé.

 

Le transmetteur émettait sur une longueur d'ondes de 500 kHz, à laquelle fut ajoutée une bande ondes courtes de 8280 kHz. En conditions optimales, la portée pouvait atteindre 250 à 500 milles sur la fréquence 500 kHz. Un avion volant à 2000 pieds d'altitude était en mesure de capter le signal à une distance de 200 milles.

 

Inopérante sur de courtes distances, la portée des ondes courtes pouvait quant à elles atteindre 750 à 1500 milles de jour, et plusieurs milliers de milles la nuit, selon les conditions météorologiques. Ainsi, une station placée à 50 milles pouvait ne pas recevoir le signal sur 8280 kHz, tandis qu'une autre à 1000 milles l'entendait clairement.

 

COPIER LES ALLEMANDS

 

En réalité, le transmetteur An/CRT3 constituait l'aboutissement d'un processus s'inspirant de modèles capturés à l'ennemi par les Britanniques. Ce furent en effet les Allemands qui développèrent en 1941 pour les équipoges de la Luftwoffe les premiers modèles de rodiobalises à manivelle ( désignées NSG2 pour Notsende Gerät 2 ). Le cerfvolant utilisé était de type cellulaire ovec une paire d'ailettes. Comme sa copie américaine, le transmetteur allemand était de forme courbe, pour mieux se tenir entre les jambes.

 

Ayant récupéré un exemplaire allemand dons la Manche en 1941, les Britanniques développèrent tout d'abord leur propre version (désignée T.1333). Le cerf-volant britannique était de forme triangulaire à ailettes et son loncement s'effectuait à l'aide d'un pistolet semblable à ceux utilisés pour tirer une fusée de détresse. Au bout de 200 pieds de fil, le cerf-volant sortait de sa gaine et se déployait dons le ciel. L'opérateur n'avait plus qu'à connecter et monter le fil d'antenne. Ce système assez compliqué ne sera pas retenu par les fabricants du M-357-A américain, qui opteront comme les Allemands pour la manière classique de montage et de lancement manuels.

 

La production britannique connaissait cependant d'importants retards. En juillet 1942, seulement 16 exemplaires avaient été livrés ou lieu des 2000 promis pour juin. L'état-major allié se tourna donc vers la compagnie américaine Bendix Aviation (et divers sous-contractants) pour livrer " aussi rapidement qu'il est humainement possible " une commande initiale de 11 600 exemplaires du Gibson Girl (égalemment copié sur le modèle allema nd). D'autres commandes suivront.

 

Progressivement, les équipages de la Royal Air Force, de l'US Air Force, de l'US Navy et de la Royal Australian Air Force reçurent leurs Gibson Girls. Plusieurs équipages canadiens servant ou sein de la RAF (particulièrement dans le Coastal Command) eurent également l'occasion de voler avec cet équipement. L'efficacité du système fut démontrée de manière éloquente par les statistiques du Eight Air Force Bomber Command en Europe. Alors que dans la première moitié de 1942, seulement 6% des équipages américoins tombés en mer étaient retrouvés, ce pourcentage avait grimpé à 40% de juillet à décembre 1943 (524 équipages récupérés sur 1346) avec des pointes à 60% en août et septembre. L'équipement resta opérationnel jusque dans les années 60.

 

 Un successeur aux pigeons-voyageurs

 

Avant l'introduction des radiobalises de type Gibson Girl, les équipages tombés en mer devaient s'en remettre... aux pigeons-voyageurs ! Le système datait en fait de la Première Guerre mondiale. En cas d'avarie, un message (révélant aux secouristes l'emplacement de l'avion en panne, etc.) était rédigé sur un bordereau oblitéré GOVERNMENT PIGEON SERVICE (avec instructions à la personne découvrant le message de porter celui-ci au bureau de poste et de télégraphie le plus proche). Le message était ensuite introduit dans une petite capsule en aluminium attachée à l'oiseau, en espérant que l'oiseau retrouve sa route... ou ne soit pas intercepté par un oiseau de proie.

 

Durant l'entre-deux-guerres, l'Aviation royale du Canada a géré jusqu'à huit élevages de pigeons dans ses bases au pays. Le plus important se situait à Rockliffe et comptait à lui seul, en 1928, au-delà de 2000 oiseaux !

 

Toutefois, rendu à la Deuxième Guerre mondiale, l'enthousiasme pour ce type d'opérations avait beaucoup diminué. A partir de 1943, les distances sans cesse croissantes parcourues par les nouveaux avions laissaient douter que les pigeons puissent revenir d"aussi loin en mer. Le service fut officiellement abandonné à la fin de 1943.

 

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